Forme 4Camera Obscura

👁 Crédit photo : Nous tenons à remercier Mária Lakatos pour la photographie de 1912, intitulée Woman, kid, garden, wicker chair Fortepan, que nous avons modifié à la manière théosophico-surréaliste en un document dada-vaudou nommé « Sofa au transfert inattendu ».


« Ainsi ce (…) soliloque, muet que, tout du long à son âme tient et du visage et des gestes le fantôme blanc comme une page pas encore écrite. »
Mallarmé, Mimique.


Lèvres avancées

Salle de spectacle, avec ou sans paire de jumelles : quelconque, sept concerts. Le nombre des places attribuées est similaire, en aucun cas celui des locations. Disons 796 emplacements (réservation de billets auprès de PasPAR4).

Dès l’entrée, la performance interactive intitulée Lèvres avancées consistera à tracer les pas des personnels chargés de placer les spectateurs, après avoir contrôlé leur billet. Cette opération facultative de police accomplie – c’est-à-dire négligée – concentrons-nous sur l’essentiel.

Comptage des pas

Il convient d’enregistrer le sillage immatériel laissé au passage de l’employé plaçant un ou plusieurs spectateurs. À cette fin, muni d’un micro au revers du col de sa tenue de travail, chaque employé sera équipé d’un système de localisation : émission d’un signal en continu. Des bornes disposées dans la salle auront pour fonction de localiser avec précision1 ces signaux, et un calculateur de mémoriser en temps réel leurs déplacements.

Il pourra également être pourvu d’un podomètre, ainsi que d’un altimètre (ce dernier dans le cas d’un amphithéâtre, ou d’un concert en plein air sur terrain pentu ou de gradins). Le cas échéant, le traitement de ces données sera précisé.

Pour le comptage, un moyen simple consistera à transformer le pas en signal au moyen d’un capteur, et de relier à un compteur numérique. Il s’agira donc d’un dispositif placé sous chacune des deux semelles.

1. Existe aujourd’hui sur le marché public du tout-contrôle électronique, à 15 cm de précision une technologie apte à localiser un drone avec une portée de 800 m ; il sera donc décidé soit d’une triangulation sol-sol, soit d’une géolocalisation GPS-GSM. (C’est question de coût.) On peut aussi coupler, en remplaçant les employés par un balisage lumineux intégré au plancher, celui-ci s’allumant avant le pas pour s’éteindre aussitôt : son ticket émettant le signal, il suffirait alors pour placer le spectateur de complémenter au moyen de bornes haut-parleur, le balisage au sol s’éteignant après lui.

À cette étape, le plasticien ne gardera pour objet d’étude que le cheminement du personnel en mémoire : une unité d’espace et de temps avariés traversée de culture et d’aliénation, artisane de l’articulation de synapses et de protéines qui loue – unité problématique – au moindre offrant un temps biologique, émotionnel et mental.

Les relevés effectués, produire à l’échelle un dessin sur plan. (Il y en aura plusieurs, un par acteur.) Calquer ces plans au moyen d’un papier passé à l’acide sulfurique afin d’exposition : ces documents seront ultérieurement suspendus de façon à baliser le cheminement du spectateur au travers de l’un des ateliers d’une usine en grève2. Un par ouvreuse-ouvreur ; chaque unité a sa couleur : classification qui ne dénote aucune symbolique, aucun concept, on adjoint à celle-ci un nombre (jaune-1, 7, 13, 19, 25 ; vert-2, 8, 14, 20, 26 ; cyan 3, 9, 15, 21, 27 ; bleu 4, 10, 16, 22, 28 ; magenta 5, 11, 17, 23, 29 ; rouge 6, 12, 18, 24, 30).

2. Important : il faut que l’usine soit en grève au bon moment, et mêlées les suspensions sans distinction de principe à leurs revendications. La transparence est de rigueur : les calques seront purifiés par l’utilisation du logiciel graphique, et les tracés correspondront au code couleur RVB. À l’extrême on simulera l’usine, et les ouvriers seront des acteurs bénévoles avec ou sans casting.

Ce serait là un premier pas de statistique sur les acteurs et de contrôle sur les consommateurs de la culture. Évidemment, il faut aller plus loin, et des caméras pourraient, devraient enregistrer les faciès, ainsi que les physionomies : avec les fiches des personnes recherchées3 (les récalcitrants du profil économique adéquat), la précision du geste exécuté, les coordonnées des personnes fichées, un logiciel de synergologie serait intégré à l’écran de contrôle du poste de sûreté. Tout est question d’analyse des données, autrement dit de programmation et de calculateur.

Nommer a, b, c, et ainsi de suite ces calques avant de les superposer. (D’abord par deux, comme nous verrons.) Il s’agira de l’ouverture de l’exposition. Les moyens en seront une ouvreuse en chair et en os et un ouvreur idoine ; il conviendrait d’épuiser la combinaison des possibles : mixer ces salariés du pas par 2, 3, 4, etc., afin que les cheminements se décantent, et que de la confusion apparaissent quelques lignes de force. Pour comparer, superposer les unes aux autres.

3. À cette étape – un « état limite » à dépasser, par exemple en implémentant ce dispositif réellement dans les usines – il apparaît que le spectateur lui-même devient superflu, et qu’il convient de le remplacer par un doublon (à définir) afin de générer l’information (capture audio et vidéo à 360°, les autres équivalents sensoriels n’étant pas encore précisés.), information à traiter en tant que matériel ; il en était ainsi du pinceau et des pigments pour le peintre, or le vidéaste actuel dispose de caméras et d’écrans ; l’écrivant du papier, le performeur de son corps ; quant à l’ouvrier, une borne de délocalisation suffirait.

Selon public, inférer des « sensibles olfactifs » (eau de Cologne dont les flacons sont produits en prison, odeurs diverses et variées émanant de toutes les parties d’un corps physique et social en décomposition, phéromones ou parfums, etc.), ceux chromatiques (habits, complexion, aura). Il convient dès lors de se reporter au remplacement4 de l’aléatoire au moyen du contrôlable et du certain.

4. D’abord ce remplacement, propice à de l’objectivité, celle des collections de données, bénéficie d’un énorme avantage : il permet d’éviter que le spectateur biologique, petit bourgeois ou commerçant borné, philistin de l’art, primo-accédant plutôt que prolétaire paupérisé, ait pour velléité de jeter son corps par dessus le garde-fou de la galerie, occasionnant par cet acte on ne peut moins barbaresque insensé bien que nous l’encouragions (et que le premier saute, et les seconds suivront), des dégâts au dispositif (à son « résidu », ainsi que Blaine eût dit). Pointant ce dernier reste du processus créatif – sorte de mue au mieux quand ce n’est pas carrément un déchet –, c’est en toute sécurité derrière leur écran d’ordinateur qu’il serait ultérieurement consommé par un ou plusieurs témoins, généreux militants de la muséologie et de la culture en bocal.

Pour initier un relevé d’économie libidinale

De fait, et puisqu’il paraît qu’une ambiance de merde vaut toujours mieux que pas d’ambiance du tout : évaluation par soirée de l’usure des talons et du nombre de mignonnettes bues, et de celle du pli interglutéal au cours des déambulations ; usure de la main à la main des tickets et des cellules, montant des pourboires et des propositions, quantité de signes non verbaux5, qualité de la servilité du sourire et poids de la domination en retour, et cetera.

5. Et en cela de l’usage actif au pas, au mollet, au genou et à la cuisse, à la hanche et au tronc, et ce jusqu’au bulbe rachidien puis, en passant par les deux hémisphères et tout le reste au lobe frontal, et de là du sensitif au moteur repartant vers l’espace en un clin d’œil, celui d’un bas de rein frôlé, et cetera si affinité ou très grand besoin de régler sa note d’électricité, son loyer, de se payer le parfum qui va bien, d’offrir à son ami·e, son amant·e la dernière bataille navale parlante afin d’entretenir la conversation.


Résumé : Exposition virtuelle des données collectées dans la salle même où ces performances et concerts de social dédicace auraient eu lieu.


4 réflexions au sujet de « Forme 4Camera Obscura »

  1. Plus de quarante ans avant que soit écrit ce texte, et alors que Nadar, au moyen d’un mime mécanisé monté sur trépied, l’enregistre en 1854 pour la postérité, Deburau, illustre autant que de son homologue Margueritte inspirant Mallarmé, n’était-il pas déjà un dispositif photographique ?

    1. Pour Mallarmé, il s’agissait du « Pierrot Assassin de sa Femme composé et rédigé par » le mime Paul Margueritte. Dans ton commentaire, Marie-Agnès, il me semble qu’il est question du Pierrot photographe, un titre qui serait donc à entendre absolument au pied de la lettre ?

      1. Tout à fait Pascal ! De l’art du mime à l’art de la photographie, et d’un dispositif précédant à un dispositif succédant, il s’agit-là, si l’on peut dire, autant d’une validation – par une flèche à deux directions – que de passer la main.

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